Le grand Coeur

Rufin nous offre dans ce livre une biographie de Jacques Cœur. Je ne connaissais pas bien ce personnage historique, juste sa renommée de richesse et la réputation de son hôtel de Bourges et je me suis plongé avec plaisir dans ce début du XVe siècle, période charnière du règne de Charles VII.

L’enfance de Jacques Cœur se déroule sous le règne de Charles VI, le roi fou. Les Anglais, soutenus par les Bourguignons, prennent possession d’une large partie du royaume et quand le jeune Charles VII arrive sur le trône, il ne règne guère que sur le sud-ouest du territoire ; il est surnommé le « roi de Bourges » et c’est avec l’aide de Jeanne d’Arc qu’il fera ses premières conquêtes.

Jacques Cœur naît et grandit donc dans une époque troublée. Fils d’un pelletier de Bourges, il épouse la fille d’un autre bourgeois et découvre la finance. Associé à un monnayeur pas très honnête, il connait la prison et décide de partir vers l’Orient. Ce voyage est pour lui une révélation, il comprend que le monde évolue rapidement et que l’avenir est dans le commerce.

Rentré à Bourges, il démarre une affaire de négoce qui rayonne en France, Flandres, Bourgogne… Persuadé qu’il a besoin du soutien royal pour développer ses affaires, il sollicite et obtient une rencontre avec Charles VII, « qui tire son pouvoir de sa faiblesse » et pour qui il sent une forte attirance.

Les êtres de cette sorte se présentent désarmés, vulnérables, blessés. placés par la destinée à la tête d’une nation, d’une armée ou d’une quelconque entreprise, de tels hommes font l’aveu, par leur apparence, qu’ils sont impuissants à remplir leur tâche, mais ne peuvent se résoudre à l’abandonner. L’acceptation du sacrifice est si manifeste chez eux qu’elle déclenche l’admiration et l’envie sincère de se mettre à leur service. […] Ces rois fatigués sont les plus dangereux.

Sa rencontre avec Charles VII est décisive car il va être nommé monnayeur à Paris quand la ville revient au roi, puis Argentier. Ce poste n’a rien a voir avec la monnaie, il s’agit plutôt d’une espèce de fourrier de la Cour. Sa carrière au service du roi lui vaut aussi d’être nommé inspecteur des impôts pour le Languedoc, de cumuler de nombreuses charges et d’être nommé au Conseil du Roi. Bien évidemment, ses affaires publiques et privées sont fortement intriquées, on parlerait maintenant de conflit d’intérêt !

La relation de Jacques Cœur avec Agnès Sorel, maîtresse de Charles VII, n’est pas la partie la plus intéressante du livre, j’ai préféré le l’analyse du lent processus qui a fait chuter l’Argentier: il semble indispensable au roi, mène des ambassades pour lui, finance sur ses deniers la reconquête de la Normandie mais son succès rend le roi tellement jaloux qu’il le condamne.

Tout autant que Jacques Cœur, ce roman est celui de Charles VII. Rufin nous décrit un personnage assez malsain et pervers mais génial politique qui a réussi terminer la Guerre de Cent ans, à échapper à la domination des princes et notamment des Anjou qui possèdent aussi la Lorraine et la Provence. Son action sera d’ailleurs prolongée par son fils Louis XI, malgré sa forte opposition à son père.

Etrange destin, vraiment, que celui de ce roi, jeté dans le monde, si faible et si humilié, souverain méprisé d’un pays divisé, ravagé, occupé et qui, par sa seule volonté, viendrait à bout de tous les obstacles, terminerait une guerre qu’on croyait éternelle, conclurait le Schisme d’Occident, assisterait à la chute de Byzance et recueillerait en partie son héritage, ouvrant son pays vers l’Orient. S’il a voulu et organisé tout cela, ce ne fut point à la manière d’un César ou d’un Alexandre. […] Charles, lui avait tout préparé en silence, comme un enfant vexé qui prépare sa revanche. Ce qu’il avait accompli de grand n’était que l’ombre portée de ses petits calculs.

Le roman se présente comme l’autobiographie de Jacques Cœur, rédigée à Chio alors qu’il est exilé, quasiment ruiné et poursuivi par des tueurs. Curieusement, il est passionnant mais je ne me suis pas complètement immergé dans l’histoire, sans doute parce que je n’ai éprouvé de sympathie pour aucun des protagonistes.

Jean-Christophe Rufin – Le grand Cœur – Gallimard 2012


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