Histoire contemporaine

Anatole France est bien oublié de nos jours, juste quelques rues ou écoles en gardent le souvenir. On a peine à croire que c’était un auteur reconnu, prix Nobel de Littérature en 1921 et qui a eu droit à des funérailles nationales (comme Victor Hugo).

Je viens de relire son Histoire contemporaine. J’y retrouve le plaisir de ma première lecture, il y a quelques lustres, et une description très fine de la société française de la toute fin du XIXe.

Les quatre romans de cette Histoire contemporaine sont d’abord parus sous forme de feuilleton et ont été publiés entre 1897 et 1901. On parle de quadrilogie, les 3 premiers (L’orme du mail, Le mannequin d’osier et L’anneau d’améthyste) développent la même histoire alors que le dernier (M. Bergeret à Paris) reprend les personnages mais avec une optique un peu différente.

Au travers de ces romans, Anatole France peint les différents couches de la société et aborde les idées politiques de l’époque. Bien des situations décrites résonnent avec notre actualité et font de cette fresque un livre toujours vivant. La lecture estivale dans un transat n’est pas idéale pour prendre des notes, je ne vais pas inonder ce billet de citations mais France fait souvent mouche par la justesse de ses propos ou de ses descriptions.

Les trois premiers livres se déroulent dans une préfecture de province avec une université, un archevêché et un séminaire. L’orme du mail commence par une compétition ecclésiastique entre le directeur du séminaire et un de ses professeurs qui postulent tous deux pour l’évêché de Tourcoing. Le directeur, l’abbé Lantaigne, est un érudit strict et austère mais mauvais gestionnaire alors que son concurrent Guitrel sait de faire valoir dans les salons et auprès du préfet.

Personnage central de ces romans, Lucien Bergeret n’apparaît qu’assez tardivement dans le premier où il donne la réplique à Lantaigne. Maître de conférence mal noté, méprisé par ses supérieurs et malheureux en ménage, il se réfugie chez le libraire Paillot où il retrouve quelques notables, fidèles interlocuteurs avec qui il refait le monde.

Bergeret est un doux, ironique et sceptique, un vrai libre penseur qui défend la justice. La période est marquée par une lutte forte entre la République et le clergé, certaines congrégations ont déjà été interdites. Le clergé est clairement royaliste et réactionnaire et les républicains franchement laïques et volontiers franc-maçons. Si le clergé en prend pour son grade, les autres strates de la société ne sont pas épargnées : la bourgeoisie et la noblesse sont tout autant critiquées. La République n’était pas exemplaire marquée par les chèques de Panama et le boulangisme et France évoque des députés magouilleurs condamnés mais réélus (non ce n’est pas Balkany). Au fil des pages, Bergeret parle de politique, de philosophie et de religion, d’histoire romaine ou de littérature. On moque aussi les prophétesses ou les apparitions, on critique les programmes scolaires qui n’arrêtent pas de changer, on parle des journaux qui abêtissent les masses en les empêchant de réfléchir (pages tout à fait transposables aux médias actuels)… bref, on parle de tout !

Plusieurs histoires se mêlent et permettent de faire vivre des personnages assez étonnants : baronnes se conduisant comme des cocottes, préfet opportuniste, anarchiste réactionnaire, arrivistes, parvenus…

Bergeret est persuadé de l’innocence de Dreyfus et l’Affaire est largement évoquée. Ce qui ressort, c’est d’abord le refus de remettre en cause l’Armée. Dans le contexte nationaliste de l’époque, même les socialistes et les anarchistes défendent l’Armée, il est donc impensable de contester ses décisions et la révision est impossible. L’antisémitisme prend le relais : comme l’accusé se trouve être juif, la haine de l’étranger en ajoute une bonne part, même (et surtout ?) chez des israélites bien intégrés.

M.Bergeret à Paris est tout aussi politique et évoque un complot nationaliste (entendre royaliste) qui vise à renverser la République. Par bien des aspects, les camelots factieux font penser aux extrémistes contemporains…

Assez désabusé, trompé par sa femme, Bergeret trouve le réconfort dans l’amitié de son chien. Il ne faut pas croire que c’est un naïf, les textes anciens qu’il fait semblant de découvrir sont sans nul doute de sa création et la relation des aventures de Trublion, Tintinabule et Robin Mielleux vient renforcer le récit des complots.

Ce grand roman est un vrai régal, toujours moderne, servi par une jolie langue aux expressions parfois un peu désuètes. Je le recommande fortement et assurément je le relirai encore avec plaisir.

Anatole France – Histoire contemporaine  : L’orme du mail, Le mannequin d’osier, L’anneau d’améthyste , M. Bergeret à Paris – Calmann Lévy


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