Immortelle randonnée

9782070455379Compostelle, le pèlerinage millénaire… c’est vraiment le grand trip à la mode, le grand fantasme bobo, plus accessible que le mythique Katmandou des hippies. Alix de Saint-André en avait donné une relation joyeuse et tentante, ce récit est tout autre et évoque plutôt un raid en pays hostile.

Un beau jour, Jean-Christophe Rufin est parti à pied d’Hendaye pour rejoindre St Jacques de Compostelle, presque 900 km plus loin. Lui même ne sait bien pourquoi il est parti, ce n’est pas un but religieux mais plutôt un retour sur lui-même, comme  si le Chemin l’avait appelé d’où le malgré moi du sous-titre. Il évite le Camino frances, la voie habituelle, au profit du Camino del Norte qui longe la côte.

Ce chemin est beaucoup moins fréquenté mais cela convient bien à Rufin qui le fait en solitaire. Il évoque quelques rencontres avec d’autres Jacquets mais semble avoir plutôt évité la promiscuité des étapes. Son parcours lui fait traverser les régions du Nord de l’Espagne, l’Euzkadi, plutôt agréable et verdoyante (donc pluvieuse !) ; la Cantabrie, ravagée par des stations balnéaires moches, désertes et sans-âme ; les Asturies, région assez sauvage, avec une nature magnifique, et enfin la Galice, le but ultime. Une grande part du livre est consacrée à la description de paysages, d’ambiances de villes et de villages.

Après quelques jours de marche, le bonhomme se transforme, relativise beaucoup et prend son rythme, détaché des contingences et en communion avec les générations de pèlerins qui l’ont précédé.

 Compostelle est un pèlerinage bouddhiste. Il délivre des tourments de la pensée et du désir, il ôte toute vanité de l’esprit et toute souffrance du corps, il efface la rigide enveloppe qui entoure les choses et les sépare de notre conscience ; il met le moi en résonance avec la nature.

Rufin nous dit qu’il ne cherchait rien dans cette aventure, et qu’il l’a trouvé. Je n’ai pas eu l’impression qu’il ait vécu un bon moment et il ne donne pas envie de  mettre nos pas dans les siens. Toutefois, il raconte avec pas mal d’humour et de dérision ses petites misères, ses galères mais aussi les rituels du chemin, quelques anecdotes de pèlerins. Pour valider la fameuse crédentiale, véritable passeport du pèlerin, il faut faire au moins 100 kilomètres ; il évoque aussi la hiérarchie des pèlerins, établie en fonction du lieu de départ, les alternatives et les ruses plus ou moins appréciées pour arriver à St Jacques.

Le chemin n’a pas d’orgueil, seulement de la fierté, pas de prétention seulement de la mémoire. Tandis que la place de l’Obradoiro […] est un lieu gonflé de puissance, fastueux et construit pour impressionner.

L’arrivée à St Jacques ne semble pas l’avoir convaincue, loin de l’idée qu’il s’en était faite pendant l’approche. Après des jours de solitude, de repli sur soi et de vie dans la nature, il a du mal avec la traversée des ruelles remplies de boutiques à souvenirs, le luxe de la cathédrale (l’Obradoiro), les rites presque païens, mais il est impressionné par la grand-messe et le balancement de l’encensoir qui lui fait écrire : « Le spectacle est parfaitement au point, après des siècles de réglage, et le moment est intense ».

Rufin a pas mal roulé sa bosse et malgré son âge et son expérience, il s’estime changé par cette aventure. Il ne sait toujours pas pourquoi il est parti, mais il envisage sérieusement de refaire le chemin.

Jean-Christophe Ruffin – Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi – Folio 2014


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