Lettres de la drôle de guerre

70119396Le Panthéon est un machin un peu bizarre, une très belle idée mais complètement rétrograde dans son hommage aux Grands Hommes qui doivent y être physiquement. Ainsi la famille de Camus n’ayant pas souhaité que ses restes quittent le cimetière de Lourmarin, la Nation n’a pas pu lui faire cet hommage formel. A défaut de nécropole civile, le Panthéon devrait être transformé en cénotaphe.

La panthéonisation, cirque très politique, a quand même pour bienfait de mettre en lumière des destins hors du commun ; comme cette promotion 2015 qui rend hommage à Geneviève Anthonioz-de Gaulle, Pierre Brossolette, Germaine Tillon et Jean Zay.
C’est grâce à cette occasion que j’ai découvert Jean Zay. Radical élu député à 27 ans, il s’est fortement impliqué dans la création du Front populaire. Réélu député en 36, il devient ministre de l’Éducation Nationale et des Beaux-Arts. Son action politique est encore vivante de nos jours avec la réforme de l’enseignement, la défense de la laïcité, la création du Crous, du palais de la Découverte, du musée des Arts populaires, des bibliobus ou du Festival de Cannes ; il avait aussi projeté la création de l’ENA et du CNRS.

A la déclaration de guerre il décide de démissionner du ministère pour rejoindre l’armée. Démobilisé, il se fait prendre dans le piège du Massilia, est arrêté, emprisonné à Marseille puis à Riom où il est jugé pour désertion et condamné à la déportation et dégradation militaire (comme Dreyfus). Il profite de son internement pour écrire Souvenirs et solitude (recommandé comme témoignage et œuvre littéraire). Jean Zay est exécuté par la Milice le 20 juin 1944, son corps ne sera retrouvé que 4 ans plus tard.

Les lettres de ce recueil sont celles que Jean Zay a adressées à son épouse pendant qu’il était à la guerre. C’est un véritable roman épistolaire qui navigue entre Buzzati et Courteline.

Ces missives sont d’abord les lettres d’un soldat à son épouse, elles retracent son quotidien et transmettent une tendresse touchante. Officier du Train, Zay retranscrit son quotidien dans « une guerre croupissante et fonctionnarisée » où 6 personnes font le travail de 2, l’attente des permissions, l’incertitude des ordres…

Curieuses occupations, en effet ! Pendant le quinzaine de permission d’un collègue, je suis obligé de faire un peu de paperasserie militaire -oh, un tout petit peu ! La paperasserie militaire a pour caractéristique de faire coïncider de principes immuables et sacro-saints avec des données pratiques et mouvantes. Elle additionne des parapluies et des masques à gaz. Elle comporte des opérations compliquées et mystérieuses qui impliquent des données préalables et techniques qu’on ne vous donne jamais.

Il fait vivre les anecdotes et se moque du cirque des  visites officielles, du tourisme militaire, rend compte des médisances de Gringoire à son encours, de l’ingratitude de ses anciens collaborateurs ou collègues qui l’ont presque tous oubliés : « A Paris, mon ancienne vie continue exactement, mais il n’y manque que moi. » Il ne supporte pas la complaisance avec laquelle les militaires acceptent les véhicules sanitaires sponsorisés par les sympathisants d’extrême-droite.

Il est fâcheux de constater combien tout ce qui est réactionnaire, clérical, royaliste, trouve un aimable accueil dans notre armée.

Homme politique, progressiste, Jean Zay est aussi très attentif aux troupes et au « front du moral, » il organise un cinéma aux armées pour distraire les soldats. Le régime spécial accordé aux ouvriers spécialisés qui sont renvoyés en arrière ne lui semble pas le meilleur des signaux, notamment vis à vis de la classe paysanne, d’autant qu’il lui est difficile de retourner à Paris pour assurer son rôle de député.

Jean Zay est aussi très critique et dur envers son colonel qui « ne l’utilise pas intelligemment. »

 Capitaine amorphe, complètement bureaucratique, sans aucune conversation et pénible à voir vivre dans sa médiocrité.

Ce qui choque (mon colonel) dans sa doctrine militaire, c’est que je n’ai pas à tenir ma permission de son bon vouloir, il est probable qu’il me la donnerait mais il aimerait que je la doive à son autorité suprême.

Cet homme n’est certainement ni méchant ni peureux, il est pire : insignifiant.

Ainsi ce colonel d’active a l’appétit coupé si on parle à table de la guerre ! Il nous donne, d’ailleurs, tous les jours, un spectacle qui explique beaucoup de nos mécomptes militaires.

Le 10 mai 1940, l’offensive allemande dans le Nord met fin à la tranquillité. Fin mai, Jean Zay quitte la Lorraine pour l’Aisne d’où il envoie les dernières lettres. L’armistice aura lieu peu après…

Jean Zay – Lettres de la drôle de guerre, 1939-1940 – Belin 2015


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