La vie sur le Mississippi

Samuel Clemens est né et a grandi au bord du Mississippi. Il est devenu pilote d’un bateau à vapeur et cette expérience l’a profondément marqué, au point que son nom d’écrivain, Mark Twain, est lié à cette période de sa vie : c’est le signal que les sondeurs criaient quand il y avait 2 brasses de fond et que les bateaux risquaient de s’abîmer dans ces hauts-fonds.

Ce récit, La vie sur le Misissippi, est antérieur à ses aventures racontées dans A la dure. La première partie raconte la fascination que le fleuve a exercé sur lui dès son plus jeune âge et son apprentissage de pilote ; la seconde est le récit de son retour sur le fleuve en tant que touriste, 21 ans plus tard.

Les années de formation donnent un récit dense, centré sur cet apprentissage et la vie à bord des vapeurs. J’ai découvert que le Mississippi était un fleuve fantasque, très sinueux et dont le cours variait énormément. Toute la difficulté pour le pilote est de connaître le fleuve par cœur de manière à pouvoir diriger le navire de jour et de nuit, quel que soit le niveau de l’eau. On comprend tout à fait le désespoir de Twain débutant, quand il découvre que les repères d’un voyage ne sont pas les mêmes que ceux d’un autre, et que la montée et la descente se déroulent différemment !
Car bien évidemment il n’y avait pas de GPS, pas de radar pour signaler les nombreux bancs de sable, les troncs cachés par l’eau, les raccourcis que le fleuve créait. On comprend aussi pourquoi le capitaine n’osait rien dire au pilote, et pourtant c’est le premier qui était responsable de la cargaison et des passagers.

Bien sûr, le récit fourmille d’anecdotes sur la vie à bord et nous rappelle que toute l’économie dépendait de cette voie maritime entre Saint-Louis et New Orleans. Twain nous raconte aussi les péripéties et les blagues que Bixby, son maître, lui a fait subir pendant les 2 ans et demi d’apprentissage ; il termine cette partie part le récit dramatique d’une explosion de bateau à vapeur.

Dans la seconde partie, Twain reprend le vapeur comme touriste et effectue un voyage de Saint-Louis à New Orleans et retour jusqu’à Saint-Paul, soit l’ensemble de la route navigable du Mississippi. Il découvre un monde totalement transformé : depuis la guerre civile, le bateau à vapeur est détrôné par le train qui a capté l’essentiel du trafic, voyageurs et fret. Même le métier de pilote a changé, il perdu son statut ce qui lui fait dire « le gouvernement a ôté à notre métier son romanesque et la compagnie de navigation lui a retiré son rang et sa dignité ».

Il cherche des traces de son passé et retrouve quelques collègues mais la majeure partie de son récit concerne le fleuve, les paysages, les gens qu’il rencontre. Il s’appuie sur de nombreuses anecdotes, par exemple avoir un prédicateur et une jument grise à bord d’un vapeur cause toujours un malheur. Au-delà du récit vivant et enjoué, j’ai aussi découvert un Twain lyrique qui est capable de faire de magnifiques descriptions de paysages ou de levers de soleil.

De Saint-Louis à New-Orléans, il y a 1218 miles que Twain nous fait découvrir, par exemple cette curieuse île 74 qui n’appartient à aucun Etat car la frontière de l’Arkansas est au milieu du fleuve et celle de son voisin Mississippi est au milieu du chenal ! Il fait défiler les paysages, décrit le fleuve que l’on essaye de domestiquer, évoque les villes qui ont disparu comme celle de Napoléon, engloutie par le nouveau cours du Mississippi et celles dont le port se retrouve loin du fleuve.

Twain raconte le terrible siège de Vicksburg et évoque rapidement sa courte incorporation dans une milice qu’il a abandonné vite fait. Quelques années après, le Sud est encore marqué par la guerre civile et c’est un sujet essentiel de conversation.

Les discussions sur la guerre par les hommes qui l’ont faite sont toujours intéressantes ; alors qu’un discours  sur la lune par un poète qui n’y est jamais allé a toutes les chances d’être ennuyeux.

New Orleans est déjà une grande ville et il déplore son manque d’architecture. Au détour d’une digression sur la littérature du Sud, il parle de sa détestation de Walter Scott et de son influence néfaste sur la mentalité sudiste. Il a beau avoir été confédéré, il en tient pas les sudistes en estime et en fait un portrait peu flatteur mais plein d’humour.

La moitié du Sud est est donc finalement émancipée, la moitié du Sud est libre. Mais la moitié blanche est apparemment aussi  loin de l’émancipation que jamais.

Son voyage de retour le mène à Saint-Paul, au-delà de Saint-Louis et du confluent avec le Missouri. A chaque fois, il semble étonné de la croissance extrêmement rapide des villes du cours supérieur, de leur puissance industrielle et commerciale. Saint-Paul a été fondé une trentaine d’années auparavant et cette ville compte déjà (en 1882) 71 000 habitants, elle est en train de faire sa jonction avec Mineapolis, fondé à une dizaine de miles, et il leur prédit une population de 250 000 habitants pour les années suivantes, soit une agglomération aussi importante que New Orleans.

Twain nous offre plus qu’un récit de voyage. En plus du saut dans le temps à la découverte d’un monde en mutation, il émaille son récit d’énormément de réflexions, témoignages ou histoires locales qui lui donnent tout son sel. L’humour est très souvent au rendez-vous et donne un charme particulier.

Au cours de ce voyage vers l’amont j’ai découvert un petit banc de sable qui s’est formé au cours des 19 années précédentes. Puisque l’on disposait de tant de temps et que l’on pouvait consacrer dix-neuf années à la construction d’un simple banc de sable avec quelques arbres, à quoi cela a-t-il servi, à l’origine, de se dépêcher de fabriquer le monde entier en six jours ?

Mark Twain – La vie sur le Mississippi, traduit par Bernard Blanc – Payot 1992


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