A moi seul bien des personnages

Ce n’est pas un excellent Irving et je ne comprends pas les critiques très élogieuses que j’ai pu en lire. Certes, Irving est un admirable conteur mais j’ai trouvé le premier tiers passablement brouillon. Pour découvrir Irving, je recommande plutôt son précédent livre, Dernière nuit à Twisted River, mais un Irving moyen est toujours largement supérieur à bien des romans (ici ou ).

William Abbott, écrivain vieillissant, raconte sa vie sentimentale qui commence au collège où il est pris d’un « béguin » pour son jeune beau-père puis tombe sous le charme de la bibliothécaire locale, Miss Frost. Bien des non-dits sur son père, sur Miss Frost, entourent William. Ces années de collège sont aussi marquées par l’ascendant de Kittredge, un de ces condisciples, sur Abbott et son amie Elaine.

La première expérience avec Miss Frost permet à Abbott d’assumer une sexualité différente, bisexuel avec un grande préférence pour les travestis. Abbott traverse les années sida à New York, perd de nombreux amis et finit par s’installer dans sa ville natale du Vermont où il devient prof de lettres.

Donc voilà le grand thème, l’homosexualité ! Cela doit faire frémir les bourgeois wasp et bien pensants mais je ne pense pas qu’ils lisent Irving. L’Oeuvre de Dieu, la part du Diable est beaucoup plus corrosif et je ne suis pas du tout convaincu par son personnage. Le narrateur pourrait ressembler à Irving, né en 44, habite dans le Vermont, amateur de lutte mais je trouve qu’il en a fait une caricature, qu’il essaye de le rattraper en montrant qu’il n’est pas complètement gay puisqu’il aime aussi les femmes. Ce livre véhicule beaucoup de clichés, par exemple pourquoi faut-il que les 2 garçons homos aient des problèmes d’élocution ? Par moment je me demande si Irving n’est pas d’accord avec le protagoniste qui insulte le narrateur et lui lance : « Vous êtes bisexuel, c’est bien ça ? vous trouvez que c’est normal, que c’est naturel ? que ça mérite de la sympathie ? vous n’êtes qu’un golfeur ambidextre. »

Je pense que sur le même thème Maupin et ses Chroniques de San Francisco sont beaucoup plus réussies, plus drôles et déjantées. Accordons toutefois à Irving le mérite de ne pas juger, de faire un plaidoyer pour la tolérance et cela pourrait se résumer dans cette phrase : « Mon jeune ami, je vous prierai de ne pas me coller d’étiquette. Ne me fourrez pas dans une catégorie avant même de me connaître. »

Le théâtre est un autre thème qui traverse le livre et qui m’a beaucoup plus séduit, même s’il est mineur. En racontant les pièces montées par la troupe locale, Irving m’a donné envie de mieux connaître Ibsen et Shakespeare.

Ce livre m’a déçu, les 200 premières pages sont confuses, j’ai détesté ce terme de « béguin » qui vient à tout bout de champ mais les personnages sont vivants et marquants ; j’adore particulièrement le grand-père, bûcheron spécialiste des rôles féminins.

John Irving – A moi seul bien des personnages, traduit par Josée Kamoun et Olivier Grenot – Seuil 2013


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